dimanche, août 20, 2006

LEADERS POLITIQUES NOIRS AUX ETATS-UNIS AVANT MARTIN LUTHER KING ET MALCOLM X

Frederick Douglass (1817-1895) fut le premier grand leader national noir. Esclave, il fut envoyé comme manoeuvre à Baltimore en 1825, puis loué à un negro breaker en 1834. Après s'être enfui vers le nord en 1838 en empruntant les papiers d'un marin Noir, il arriva à New-York puis dans le Massachusetts où il prit le nom de Douglass. Dès 1841, il était devenu un membre et un orateur reconnu du Mouvement pour l'abolition de l'esclavage. En 1845, il dut quitter les Etats-Unis pour échapper à son ancien maître. Il se rendit en Grande-Bretagne puis en Irlande où il poursuivit ses activités en faveur de l'abolition de l'esclavage, entre 1845 et 1847.
De retour aux Etats-Unis, il fondait l'hebdomadaire "The North Star" à New-York, aidant des esclaves fugitifs à gagner le Canada.
Dès 1851, il se prononça en faveur de l'accession de la communauté Noire des Etats-Unis à l'exercice d'un pouvoir tant économique que politique, dénonçant les illusions qu'engendrait le mouvement de "retour en Afrique" que certains, tel Martin Delany, prônaient alors comme solution aux difficultés de la communauté Noire aux Etats-Unis. Il exposa un programme de protestation permanente et virile, utilisant toutes les armes, grandes et petites, violentes et non-violentes.
Après avoir oeuvré pour le recrutement de soldats Noirs pour les régiments de l'Union en 1863, Frederick Douglass intervenait auprès des présidents Lincoln puis Johnson en faveur des droits civiques et de l'enseignement pour les Noirs récemment affranchis. Il devait dénoncer jusqu' à la fin de sa vie les inégalités raciales qui se multiplièrent pendant la période de la Reconstruction.
Pendant 50 ans, de 1845 à 1895, Douglass fut universellement reconnu comme le leader des Noirs d'Amérique.
Au cours de cette période, il traça les frontières du mouvement de résistance Noir, défendant avec éclat, au long des bonnes et des mauvaises années, un programme d'intégration total et immédiat. Il fut un des premiers à prêcher la résistance passive : pour lui, le progrès passe obligatoirement par la lutte.
"L'histoire entière du progrès de la liberté humaine montre que toutes les concessions faites jusqu'ici aux nobles revendications de cette liberté sont issues d'une lutte acharnée". "Ceux qui prétendent prêcher la liberté tout en désapprouvant l'agitation sont des hommes qui veulent des récoltes sans labourer". "Cette lutte peut être morale et physique, mais ce doit être une vraie lutte. Le pouvoir ne concède rien quand on n'exige pas. Si nous entendons nous libérer de l'oppression et des injustices accumulées sur nous, il nous faut payer pour cette libération . Nous devons payer en labeur, en souffrances, en sacrifices et, si c'est nécessaire, en vies, notre vie et celles des autres". Il mourut en 1895. ( à lire : "Narrative of the Life of Frederick Douglass" et "An American Slave" par Frederick Douglass ).

L'année de la mort de Douglass, Booker T. Washington ( 1858-1915, fils d'esclave ), personnalité très différente, se rendit à Atlanta avec un programme de conciliation et de retraite. Il demanda aux Noirs d'abandonner trois choses : 1) l'accession au pouvoir politique. 2) l'obtention rapide des droits civiques. 3) l'amélioration de l'éducation pour les jeunes.
Il leur demandait de concentrer toute leur énergie sur l'éducation industriel et l'accumulation de biens matériels. Il créa l'institut Tuskegee qui permettait aux Afro-américains d'acquérir des bases solides afin de fonder leur propre industrie. Son but premier était d'obtenir la sympathie et la coopération des Blancs du Sud. Il fut reconnu comme étant le leader de 10 millions de Noirs à travers les Etats-Unis. ( à lire : " Up from Slavery " ).

Ce fut dans les universités Noires d'Atlanta, devenues un centre militant d'opposition, que jaillirent les semences du mouvement moderne de protestation Noire.
Dans les premières décennies du 20ème siècle, W.E.B Du Bois (1868-1963), un jeune professeur de l'Université d'Atlanta, ralliait les forces des Blancs progressistes et les troupes des Noirs militants. Du Bois, personnalité connue et influente à Atlanta pendant l'adolescence de M.L King, fut le second grand leader du mouvement de résistance des Noirs. Il proposait un programme d'agitation permanente, comprenant l'emploi de la force sous toutes ses formes : persuasion morale, propagande, et quand c'était possible, même la résistance physique. Contrairement à Booker T.Washington, il mit tout en oeuvre pour convaincre ses frères de races afin que les satisfactions matérielles passent après la lutte pour l'égalité des droits civiques. Du Bois fit passer le provincialisme des Noirs américains au plan international du panafricanisme (doctrine et mouvement tendant à regrouper spirituellement tous les Noirs du monde dans la conscience de leurs attaches africaines, et à réaliser en Afrique une unité politique). C'est lui qui incita ces derniers à renouer avec leurs origines africaines et leur fit prendre conscience de l'état d'aliénation culturelle auquel ils s'étaient plus ou moins résignés.
D'Atlanta, en Juin 1905, Du Bois lança un appel pour le premier meeting du mouvement Niagara, alors en train de se former et qui devait aboutir, par le jeu des alliances, à la fondation de la "National Association for the Advancement of Colored People"(NAACP).
En 1919, il réclame le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Grâce à l'appui de Georges Clemenceau et de plusieurs hommes politiques Noirs, il réussit à réunir à Paris une soixantaine de délégués qui, à la suite de leurs travaux, remirent une pétition à la Société des Nations. En 1921, le nombre des participants s'étaient élevés à cent treize, dont quarante et un représentants africains.
Dominée au début par des Blancs progressistes, la NAACP révéla aux Noirs une perspective de protestation respectable, d'actions judiciaires, de manoeuvres politiques et de propagande. Entre 1920 et 1930, des branches se formèrent dans tout le pays, y compris à Atlanta, qui devint la source du nouveau mouvement de protestation. Du Bois s'opposa à Marcus Garvey en lui reprochant son messianisme aggressif. ( à lire : "The Souls of Black Folk" ).

A la droite de presque tous les Noirs d'Amérique se situait Marcus Garvey (1887-1940), Jamaïcain brillant et emphatique, qui organisa le plus grand mouvement nationaliste Noir et un des plus importants mouvements de masse de l'histoire et de la résistance Noire. Il fut qualifié par certains de ses biographes, de "Black Moses" (Moise Noire). En 1910, il créa son premier journal à Kingston, capital de la Jamaïque. Puis il voyagea dans plusieurs pays d'Amérique Centrale ou il prit conscience des graves inégalités sociales et raciales existantes.
Il partit alors à Londres où il s'initia aux civilisations africaines et aux problèmes de la communauté Noire des Etats-Unis. A l'approche de la première guerre mondiale, il regagna la Jamaïque ou il fonda "The Universal Negro Improvement Conservation Association and African Communities League", connue sous le signe de U.N.I.A. Les objectifs de l'association étaient l'établissement de liens confraternels aux niveaux politique, économique, social et culturel entre les populations Noires des Amériques, d'Afrique et d'Europe.
Après l'échec de l'implantation de l'U.N.I.A en Jamaïque, Marcus Garvey partit pour les Etats-Unis en 1916. Il devint à Harlem et dans de nombreuses villes d'Amerique du Nord, l'un des leaders de la communauté Noire et des organisations prônant le "Black Nationalism". Son cri de guerre "l'Afrique aux Africains" lui valut une grande popularité auprès des nord-américains, à la fin de la seconde guerre mondiale.
Il consolida l'UNIA dans le quartier Noir de Harlem. Le but de ce mouvement était, entre autres, de créer une vaste fraternité de tous les Noirs de la terre. Garvey, lui même Noir à la peau foncée, en appela ouvertement à la prise de conscience de ses adeptes. Il revendiqua l'apport de la civilisation aux peuples africains arriérés, et la création d'une nation réunissant tous les Noirs.
Il faut savoir que dès le début du 18ème siècle, beaucoup de Blancs philanthropes ont milité pour le rapatriement des Noirs en Afrique. En 1787 déjà, sur l'initiative de Lord Wilberforce et de son mouvement de lutte contre l'esclavage, on rapatria d'anciens esclaves anglais sur la côte Ouest de l'Afrique. C'est de là que date la fondation de Sierra Leone dont la capitale porte le nom prometteur de Freetown. Nombre de quakers (membres d'une secte religieuse protestante) américains ont parrainé la proclamation de la République Noire du Liberia. Ces deux états ont déçut les beaux espoirs que certains idéalistes avaient placés en eux.
En 1925, l'UNIA comptait plus de 700 branches aux Etats-Unis, des représentants dans une quarantaine de pays dont l'ensemble des territoires des Caraïbes, et revendiquait 6 millions de membres.
Marcus Garvey créa plusieurs compagnies maritimes dont la "Black Star Line et la Black Star Steamship Company". Malgré ses retentissants échecs dans ce domaine, qui lui valurent plusieurs procès et emprisonnements, Marcus Garvey construisit une vaste entreprise coopérative de fabriques, magasins, restaurants associée à l'UNIA, pour une clientèle issue de la communauté Noire. Ce chauvinisme Noir se devait d'avoir sa propre église séparatiste, "l'African Orthodox Church", dont la théologie divergeait de la théologie chrétienne.
Etroitement surveillé par le FBI, rejeté par les milieux d'affaires américains qui dénoncèrent l'UNIA en tant que "parti communiste affilié au gouvernement soviétique" et Garvey lui même comme "agitateur radical", ce dernier fut expulsé des Etats-Unis.
Garvey, comme Elijah Muhammad, méprisait ouvertement le grand courant militant du groupe des dirigeants Noirs. Ni les protestations, ni l'activisme, ne modifieraient de façon significative les conditions sociales d'une minorité opprimée vivant au sein d'une majorité qui la craignait et la haïssait.
Brandissant la bannière de la suprématie Noire, Garvey préconisait vers les années 1920-1925 un retour en Afrique. Bien qu'il ne soit pas parvenu à son but final, Garvey trouva des échos sans précédent dans les masses Noires, recueillant en deux ans seulement, 10 millions de dollars, plus d'argent qu'aucun autre leader noir n'avait rêvé jusqu'alors et n'a rêvé depuis. Le succès de Garvey exprimait un mécontentement si profond, si unanime, au sein du ghetto Noir, que cette irritation confinait au désespoir, à la certitude de ne jamais acquérir en Amérique une vie sociale satisfaisante.
Il mourut en 1940 dans l'oubli, la pauvreté et la solitude.( à lire : "The Poetical Works of Marcus Garvey" ).

A.D Williams, le grand-père de M.L King, prit une place de premier plan en devenant l'un des pionniers de la branche d'Atlanta de la NAACP. Williams était le chef d'un certain nombre de citoyens exaspérés, qui contraignirent la ville à bâtir une école secondaire pour les Noirs, en faisant échec à un projet d'emprunt dont les dispositions ne prévoyaient aucune installation scolaire destinée à ceux-ci.
Quand le "Georgian" d'Atlanta qualifia les protestataires Noirs de crasseux et ignorants, Williams prit la tête d' un mouvement de boycottage du journal. On a estimé qu'en un seul jour six mille Noirs environ cessèrent d' acheter ce quotidien. Le boycottage finit par provoquer la mort du "Georgian".
Le père de King continua la tradition familiale dans les années trente et quarante, en présidant le comité des citoyens d'Atlanta, qui intenta à la ville le premier procès pour obtenir l'égalité des salaires des enseignants.

Parmi ceux qui ont oeuvré pour la libération des Noirs, on peut également citer :

- William Holtzclaw ( 1870-1943 ) créa un journal pour la communauté Noire d'Alabama et une école " the Utica Normal and Industrial Institute". ( à lire : " The Black Man's Burden ").

- Walter White ( 1893-1955 ) fut journaliste et lutta pour les droits civiques des Noirs. ( à lire : " A Man Called White " ).

- Richard Wright ( 1909-1960 ) fut journaliste et écrivain ( parmi ces livres : Uncle Tom's Children en 1938 ). ( à lire également : " Black Boy " et " Native Son " ).

- Carl Holman ( 1919-1988 ) fut un activiste des droits civiques, écrivain et poète. En 1962, il travailla à la commission américaine des droits civiques ( dans l'administration de Kennedy et de Johnson ). ( à lire : " Anger and Beyond : The Negro Writer in the U.S " et " The Afternoon of a Young Poet " ).

- LeRoi Jones ( 1934- ) fut journaliste et écrivain. Puis il habita à Harlem et devint un activiste politique. Il pronât le nationalisme culturel africain. ( à lire : " The Autobiographie of LeRoi Jones " ).

- Ralph David Abernathy ( 1926-1989 ) fut pasteur d'une grande église baptiste de Montgomery. Il contribua à mettre en place le boycott des bus de Montgomery avec Luther King. Après la mort de celui-ci, il continua le combat et fut à la tête de la " Southern Christian Leadership Conference ". ( à lire : " And the Walls Came Tumbling Down " ).

- Claude Brown ( 1937- ) vécu à Harlem ou il organisa des guerres de gangs, ventes de drogues.... Il devint par la suite écrivain. ( à lire : " Manchild in the Promised Land " ).

A lire également :

- James Weldon Johnson " The Autobiographie of an Ex-Coloured Man "

- William Wells Brown " Clotel " et " The Escape "

- David Walker " Walker's Appeal in Four Articles "

- Alain Locke " The New Negro "

- Arna Bontemps " Drums at Dusk " et " Black Thunder "

- Gordon Parks " A Choice of Weapons "

- Maya Angelou " I Know Why the Caged Birds Sings "

- Lorene Cary " Black Ice "

- Daisy Bates " The Long Shadow of Little Rock "

MOUVEMENTS NOIRS AUX ETATS-UNIS A PARTIR DES ANNEES SOIXANTE .

- BLACK PANTHERS : Constitué en 1966 à Oakland (faubourg de San Francisco) par Huey Newton et Bobby Seale. C' est un mouvement qui s'inspira des idées du Black Power. Ses membres voulaient dans un premier temps défendre leur ghetto contre toute attaque policière. Ils soulignaient dans leur programme que les Noirs devaient s'armer pour se défendre. Rejoints en 1967 par Eldridge Cleaver, ils s'attaquèrent au Capitole de Sacramento, vêtus de blousons de cuir et bérets noirs, armes à la main. Ils s'allièrent à des organisations blanches radicales pour transformer le système décadent, réactionnaire et raciste de l'Amérique. Ils créèrent des écoles de libération, des centres de soins et firent des distributions gratuites de vivres dans les ghettos.
Les Black Panthers deviendront l'ennemi principal de la police fédérale, leurs leaders seront arrêtés et abattus; leurs troupes seront contrôlées par les policiers qui parviendront à s'y infiltrer. ( à lire : "Soul on Ice" de Eldridge Cleaver ).

Dans les années 1970, certains musiciens joueront un rôle important dans la nouvelle prise de conscience noire : John Coltrane, Gil Scott Heron, les Last Poets........

- BLACK POWER : C'est en 1966 que Stokely Carmichael, président du Snick (Student Non Violent Coordinating Commitee), diffuse l'expression de Black Power. Il n'est plus possible en effet d'attendre qu'on applique les lois, ni de se contenter de la promotion de quelques Noirs au sein de la société blanche américaine. Toute la communauté noire est alors incitée à lutter pour sa propre promotion, la coopération véritable entre les races ne s'avérant possible que dans l'égalité.
Le premier objectif du Black Power est donc d'amener la communauté noire, d'une part à prendre conscience de ce qu'elle est, de ses racines, de son histoire, de sa culture, d'autre part à définir ses propres buts et à prendre la direction d'organisations spécifiques. Par des pressions économiques et politiques, les Noirs doivent contrôler les institutions là ou ils sont majoritaires (dans les ghettos des villes et dans certains comtés du Sud), ou participer au contrôle en proportion de leur force là ou ils ne sont pas majoritaires.
Cette doctrine se distingue de celle du séparatisme, prôné par les Black Muslims, qui refusent tout contact avec les Blancs et dont certains ont même demandé la création d'une nation Noire. Précurseur du Black Power, Malcolm X avait suggéré avant sa mort que les Noirs s'appuient sur la force pour réclamer leur dû. L'un des principes du Black Power est en effet d'opposer à la violence la contre-violence , mais en s'appuyant sur la légalité (notamment sur le droit constitutionnel de porter une arme).
Le SNICK de Carmichael, puis de Rap Brown se montre alors très actif.

L'action des leaders révolutionnaires se poursuit jusqu'en 1970-1971, surtout sensible dans les grandes villes et marquée par une forte tendance révolutionnaire. Sous l'influence de la Guerre du Vietnam, les mouvements Noires se déclarent solidaires des peuples du Tiers Monde, mais bientôt des divisions profondes les atteignent , notamment chez les Black Panthers en 1971. Les leaders évoluent de façon différente : Carmichael se retire en Guinée, avant de revenir aux Etats-Unis en 1973 pour prôner le retour des Noirs en Afrique. E.Cleaver se réfugie à Cuba, puis en Algérie, d'où il prône la guérilla urbaine; d'autres passent de nombreuses années en prison.

- NATION OF ISLAM DE LOUIS FARRAKHAN : Quand meurt en 1975 Elijah Muhammad, c'est son propre fils Wallace qui tente de reprendre les rênes de la Nation of Islam. Mais c'est avec Louis Farrakhan, au début des années 80, que celle-ci reprend sa véritable puissance. Il réussira à rassembler 40 000 personnes au Madison Square Garden en 1985.
Proffesor Griff, "rappeur Noir américain" déclare "La Nation of Islam n'est pas comme ces sectes qui pratiquent l'Islam. Avec nous, il faut arrêter de boire, de se droguer.... C'est essentiellement une religion de discipline, et la discipline, c'est ce qu'il faut à l'homme noir en Amérique".

- FIVE PER CENT NATION : Elle représente un autre mouvement Islamique, davantage basé sur le culte mystique (faits solaires, mathématiques et alphabets suprêmes). Il fut crée en 1964 à New York par Clarence Jowars 13 X Smith, après son expulsion du Temple numéro 7 de Malcom X, avec comme devise: " les Noirs sont la réincarnation d'Allah à travers le soleil ".
Big Daddy Kane, "rappeur Noir américain" déclare : "Five percent signifie: islamiste rigoureux, la Nation des 5%. 85% des gens sont tenus en arrière car ils sont idiots, sourds et aveugles : on leur a volé leur nom et leur culture. Ensuite, il y a les 10% à qui on a fait croire qu'ils étaient faits pour porter des noms comme John ou Dennis. Ils ne se rendent pas compte que leurs noms sont Elijah et Kamau. Les 5% restants ont la connaissance de soi, donc la connaissance de tout dans l'existence. Si tu es un Five Percenter, alors tu sais que tu es Dieu. Dieu est le centre de l'univers, l'homme asiatique, l'Etre Suprême. La Nation of Islam place la sagesse avant le savoir. Dans la Five Percent Nation, nous croyons que nous ne pouvons pas trouver la sagesse avant d'avoir cherché le savoir".

Contenant et contenus conçus et réalisés par Olivier Bain; tirés de l'oubli, toilettés et remis en ligne par Jean-Marc Liotier

mardi, août 15, 2006

Quand utilisé le terme Métisse

Au XVIII siècle, un colon de Martinique, Moreau de Saint-Méry, prend la peine de quantifier les parties de "noirceur" et de "blancheur" de tel ou tel individu (il en dénombre 128, par la simple progression arithmétique : 2, 4, 8, 16, etc.) On peut grâce à lui enrichir notre vocabulaire : "D'un Blanc et d'une Négresse vient un Mûlatre ; D'un Blanc et d'une Mûlatresse vient un Quarteron ; d'un Blanc et d'une Quarteronne vient un Métis ; D'un Blanc et d'une Métisse vient un Mamelouc ; D'un Blanc et d'une Mamelouque vient un Quarteron ; D'un Blanc et d'une Quarteronne vient un Sang-mêlé ; D'un Blanc et d'une Sang-mêlé vient un Sang-mêlé qui s'approche continuellement du Blanc"

On notera au passage que c'est toujours le mâle Blanc qui a le rôle actif...

jeudi, août 10, 2006

La vie des matelots à l’Ile de France de 1750 à 1790

A l’époque de la Compagnie des Indes et pendant les années qui suivirent la fin de son monopole du commerce, bien des matelots se sont rendus, sur des navires de Lorient à l’île Maurice alors appelée " Isle de France ".

Le voyage était assez éprouvant et durait cinq mois environ. Une fois arrivée à Port-Louis de l’île de France, ces matelots restaient parfois plusieurs années dans l’océan Indien, avec comme port base cette île, avant de revenir en France.

C’est le cas de François Thoumelin qui s’engagea, pour son premier voyage pour la Compagnie, sur la flûte Le Massiac à l’âge de 16 ans. Il effectua plusieurs expéditions à l’île de France, aux Indes et en Chine et fit de longs séjours dans l’océan Indien. Il navigua au commerce de 1762 à 1784. Il partit, dans sa carrière de matelot, six fois de Lorient pour des périodes allant de deux à huit années. Le temps passé, entre deux voyages, avec sa famille était très limité et se comptait en mois rarement en année.

Les questions qui se posent à nous, sur la vie de ces matelots, sont assez simples et peuvent se résumer aux suivantes : Que voyaient-ils sur l’île ? Que faisaient-ils sur place ? Comment vivaient-ils ? Quelles étaient leurs distractions ? Comment la famille vivait cette séparation ?

Raconter la vie des matelots à l’île de France n’est pas une chose aisée car la majorité d’entre eux ne savait ni lire, ni écrire. Ces derniers n’ont donc pas laissé de traces écrites sous forme de récits ou de lettres. Pour essayer de cerner qu’elle était leur vie, il nous faut donc utiliser les témoignages indirects que sont les documents officiels écrits par l’écrivain du bord ou les récits de voyage de certains capitaines.

Cette brève étude essaie donc de relater la vie des matelots à l’île de France de 1750 à 1790, en examinant successivement l’environnement, le climat, la vie sociale de l’île, les voyages effectués vers les Indes et la Chine et les relations avec les familles restées en France.


Le paysage de l’île

A 900 km de Madagascar, centrée par 20° 15’ Sud et 57° 35’ Est, l’île de France (1850 Km² ) fait partie avec l’île Bourbon (actuellement, l’île de la Réunion) et l’île Rodrigues de l’archipel volcanique des Mascareignes.

En 1753, l’année où l’abbé de La Caille s’est rendu à l’île de France pour établir des relevés afin de dresser une carte de l’île, ce dernier mit ses observations par écrit et décrivit l’île de cette manière : "Le terrain de l’Isle de France est en général assez bon, mais il est recouvert d’une quantité prodigieuse de pierres de toutes sortes de grosseurs, dont la couleur est cendrée noire.........On y trouve aussi beaucoup de pierres ponces, surtout sur la côte nord de l’isle, de laves ou espèce de laitier, de fer, de grottes profondes et d’autres vestiges manifestes de volcan éteint.

L’Isle de France est presque toute couverte de bois. Ces bois sont assez beaux, surtout du côté du sud-est de l’isle. Ils sont fort embarrassés de fougères et de lianes.

L’Isle de France est arrosée de plus de soixante ruisseaux. Ils sont fort près les uns des autres dans la partie méridionale de l’isle. Il y en a même de fort considérable, que leur largeur et leur profondeur rendent difficiles à passer. Le milieu de l’isle est rempli d’étangs d’eau douce, qui sont la source de la plupart de ces ruisseaux. La côte nord-est et du nord-ouest de l’Isle est sans eau ; on n’y rencontre guère que des mares d’eau salée.

La dixième partie de l’isle, ou à peu près, est défrichée et cultivée : on y sème du froment, de l’orge, de l’avoine, du riz, du maïs et du millet. Une partie des terres est en manioc pour nourrir les noirs. On fait en quelques endroits du sucre et du fort beau coton. On ne peut labourer les terres à cause des pierres. On les façonne à coups de pioches, et l’on jette quelques grains dans chaque trou formé par la pioche. Dès qu’un champ est moissonné, on y plante souvent un autre grain. Les nouveaux défrichés sont assez fertiles ; mais on les fait trop travailler. Les grands abattis de bois qu’on a faits pour établir certains quartiers, les ont rendus sujets à des sécheresses qui changent les terres en poussière, entretiennent les insectes et les fourmis. On cultive dans les jardins avec assez de succès la plupart de nos légumes d’Europe, dont on fait venir les graines de France, du Cap et de l’Isle de Bourbon. On y a peu de fruits...

Peu d’habitants ont des troupeaux. Il n’y a guère que le cabri et le cochon d’Europe et de l’Inde qu’on nourrisse facilement. Les moutons y sont fort rares, et d’une mauvaise venue. On y trouve quelques troupeaux de bœufs et de vaches venues de Madagascar. Les vaches amenées ou originaires de Madagascar rendent très peu de lait. Celles qui viennent de France s’y vendent trois fois plus cher, parce qu’elles en rendent plus abondamment."


Les conditions climatiques

Le climat de l’île de France, au XVIIIème siècle, était sensiblement identique à celui de l’île Maurice actuellement. Il est tropical mais tempéré par les influences océaniques. Il bénéficie du souffle humide de l’alizé du sud-est qui engendre les classiques oppositions de versants : si le Centre et le Sud reçoivent de nombreuses précipitations, le Nord et l’Ouest peuvent souffrir de sécheresse. L’île est située sur la trajectoire des cyclones tropicaux de l’océan Indien pendant l’été austral.

Pendant la période qui nous intéresse, l’île fut souvent touchée par des cyclones. Un survint le 1er février 1771 et occasionna beaucoup de dégâts sur l’île. Tous les navires du port furent jetés à la côte et deux coulèrent. Le mois suivant, un autre cyclone un peu moins violent frappa l’île en faisant encore des dégâts.

Dans la nuit du 9 au 10 avril 1773, un autre ouragan atteignit l’île de France. Ce dernier fut plus violent que les précédents. De nombreuses maisons furent détruites ainsi que l’église et encore une fois un nombre important de navires allèrent à la côte.

En 1784, 1785,1786 et 1788, d’autres cyclones violents ravagèrent l’île de France. Par la suite, le climat fut plus clément pendant plusieurs années.


La population

La population, de l’île de France, était composée de trois classes : les blancs, les "libres", égaux juridiquement mais non réellement des blancs, et les esclaves.

En 1766, il y avait 1998 blancs dont la plupart étaient des célibataires, des employés de la Compagnie qui avaient laissé leurs femmes et leurs enfants en France. En 1788, leur nombre s’était accru, ils étaient 4457 dont la moitié vivait au chef-lieu et l’autre moitié à la campagne.

Les "libres" étaient soit des esclaves affranchis soit des "malabares" importés de l’Inde comme ouvriers. Le nombre des "libres" était de 1199 en 1776 (les chiffres n’existent pas pour 1766) et de 2456 en 1788. La plupart vivaient au Port-Louis.

Les esclaves étaient neuf fois plus nombreux que les blancs. Leur chiffre doubla de 1766 à 1788, passant de 18100 à 35915. Ils provenaient de la traite avec Madagascar ou le Mozambique et aussi de l’Inde.


La ville de Port-Louis

La ville de Port-Louis, capitale de l’île de France, était une excellente rade pour les navires. Le port était aménagé et comportait des installations pour le mouillage (mouillage de Caudan) et l’entretien des navires.

Elle comptait à cette époque environ 500 maisonnettes de bois. Ces dernières pouvaient être transportées sur des rouleaux, aux fenêtres ni vitres, ni rideaux et à l’intérieur des meubles de mauvaise qualité. Les rues et les cours n’étaient ni pavées, ni bordées d’arbres. Le terrain était recouvert par les esquines (Nom vulgaire du Smilax China. L’esquine ou la squine, de l’Asie orientale, est pourvue de quelques aiguillons, a des feuilles inermes et des fleurs en ombelles -Le fruit est une baie. Le rhizome est antirhumatismal) et parsemé de blocs de pierre. La voirie était inexistante.

En 1784, la ville et ses environs étaient entourés par des fortifications. Les deux principales batteries étaient la batterie Royale et la batterie Dumas sur la montagne des Prêtres. A l’est, la ville était fermée pour une ligne de retranchements qui allaient du trou Fanfaron jusqu’au-dessus de la batterie Dumas. Pour la côte ouest, seule une ligne de fortifications en pierre sèche existait. Cette ligne allait du port à la montagne sur le terre-plein de la pointe du Morne de la Découverte.

A la fin de la période qui nous intéresse la ville a changé d’aspect. La pierre a remplacé le bois pour la construction des maisons, qui ont presque toutes un étage. Les rues ont été rectifiées et élargies.

L’église et le "gouvernement" ont été rénovés, d’autres bâtiments d’importance s’y sont rajoutés. Le cimetière, situé d’abord au centre de la ville, a été déplacé sur la rive occidentale du port et son ancien emplacement transformer en jardin. Les ruisseaux traversant la ville ont été canalisés. Port-Louis était divisé en 3 parties au centre la ville pour les blancs avec un secteur résidentiel et un autre commercial ; à l’est et à l’ouest, deux faubourgs habités par les "libres de couleurs".

En débarquant sur le quai principal de Port-Louis, on accédait à la place d’Armes qui s’étendait devant le "gouvernement". Derrière celui-ci, une longue avenue (la rue du gouvernement) conduisait au Champ de Mars, vaste plaine au fond du vallon, servant de manœuvres. A gauche de l’avenue, en regardant le port, la partie résidentielle, appelée quartier du Rempart, à droite la partie commerciale, dite quartier de la Petite Montagne, où étaient installés les négociants.

Les maladies, les infrastructures hospitalières et le cimetière L’hygiène à Port-Louis était pratiquement inconnue. La petite vérole fit de nombreuses victimes ainsi que le charbon épidémique. En 1770, on estime que le quart de la population servile fut emporté. De nouvelles épidémies de petite vérole se déclarèrent en 1772 et en 1782. Les maladies étaient souvent apportées par les vaisseaux revenant des Indes.

Ajouté à ses calamités, les mauvaises conditions d’inhumations des décédés ne permettaient pas d’enrayer rapidement la maladie. En effet, dans la ville de Port-Louis, les cochons allaient dans le cimetière déterrer les corps et ramenaient à la ville des lambeaux de cadavres.

Bien des marins étaient débarqués malades de leur navire tel le matelot François Thoumelin qui fut amené deux fois à l’hôpital de Port-Louis à la fin de ses traversées Lorient- île de France, une fois en débarquant du Massiac et la deuxième fois en quittant le Daupuin.

Certains, grâce aux soins prodigués à l’hôpital qui fut le premier ouvrage de terre bâti par Mahé de Labourdonnais arrivaient à guérir d’autres comme Jean Robelet y mouraient. L’hôpital s’élevait entre le trou fanfaron et le bassin des chaloupes du port.


Les distractions

Les distractions étaient nombreuses à l’île de France pour les gens aisés et instruits. Il y avait des réceptions, des bals, des réunions de sociétés savantes, etc...Mais pour les matelots, de condition modeste, les loisirs étaient bien plus restreints.

A bord du navire, les distractions étaient limitées. La vie était rythmée par l’entretien du navire, les repas et le repos. Toutefois quelques jeux de société étaient pratiqués tels que les osselets, les dominos, le jeu de dames et les échecs.

Par contre, à terre, les matelots pouvaient se distraire dans les nombreux bars de la ville de Port-Louis où il existait, en 1772, 125 cabarets. Ce nombre fut réduit les années suivantes. Ces sorties à terre pouvaient parfois mal se terminer pour certains matelots. Comme, dans tous les ports, des bagarres éclataient et parfois des matelots étaient blessés ou tués.

Une autre distraction était à la disposition des matelots, une visite au "bazar" ou marché situé derrière l’hôtel du gouvernement.


Le commerce, les achats

Le but des voyages était bien sûr le commerce et en particulier celui des épices, des étoffes et des porcelaines mais les matelots n’y étaient pas directement impliqués.

Toutefois, à l’île de France, la Compagnie disposait de vastes magasins où l’on déposait tout ce qui venait de France ou ce que le gouverneur jugeait bon de faire acheter hors de l’île pour la subsistance des habitants. L’ensemble du personnel de la Compagnie ainsi que le gouverneur, les conseillers, les prêtres des paroisses, etc. étaient autorisés à acquérir au prix coûtant les marchandises entreposées : c’était ce que l’on appelait le prix de la Compagnie. La monnaie d’échange était la piastre gourde d’Espagne qui équivalait en 1761, 105 à 106 sous en dehors de l’île de France. Sur l’île, pour favoriser le commerce, la piastre ne valait que trois livres douze sous ; convertie en lettre de change sur la Compagnie, elle reprenait sa véritable valeur.

D’autre part, avant de revenir en France, les matelots procédaient généralement à des achats pour les revendre une fois de retour à Lorient. Ce commerce, le "port permis", autorisé par la Compagnie, rapportaient beaucoup. Il pouvait permettre de doubler la solde. Certains s’adonnaient aussi à la "pacotille", c’est-à-dire effectuaient des achats pour des tiers et partageaient ainsi les bénéfices avec ces derniers. Mais ce commerce était plus risqué car n’étant pas autorisé, il était sujet à la confiscation des produits.


La vie au jour le jour

Les matelots étaient sous l’autorité du capitaine et des officiers des navires sur lesquels ils étaient embarqués. L’île était commandée par le gouverneur, les navires et le port par le chef d’escadre.

A l’époque de la Compagnie des Indes, le matelot signait un engagement pour plusieurs années. Pendant cette période, la Compagnie était tenue de nourrir et de fournir les subsistances au matelot à l’île de France et même au-delà de l’expiration de l’engagement jusqu’à ce qu’il se présente un navire pour rentrer en France. Mais cette prise en charge par la Compagnie, après la date de fin d’engagement, n’était effective que si le matelot poursuivait ses services avec la Compagnie.

Au port, le matelot vivait donc à bord du navire sur lequel il était embarqué. Entre deux embarquements, il se retrouvait parfois à bord d’une "cayenne", c’est-à-dire à bord d’un navire mouillé en rade et servant de caserne flottante.

Parfois, lorsqu’il était malade au port ou après une navigation, il débarquait et était hospitalisé à l’hôpital de Port-Louis.


Les embarquements à partir de l’île de France

Pendant la première partie de la période qui nous intéresse, jusqu’en 1767, seuls les navires de la Compagnie des Indes étaient autorisés à commercer à partir de l’île de France. Les années suivantes, le monopole de la Compagnie étant tombé les échanges devinrent plus libres.

Les marins qui restaient à l’île de France pouvaient donc embarquer localement pour compléter les équipages des navires qui naviguaient à partir de Port-Louis.

Les équipages étaient généralement composés par des européens (ou américains), des lascars originaires de l’Inde et des esclaves africains. Les voyages et les activités réalisés par les navires pouvaient se classer de la façon suivante :

- le cabotage avec les dépendances (Seychelles et Rodrigues principalement),
- les voyages avec l’île Bourbon et Madagascar,
- la traite négrière en Afrique,
- le commerce d’Inde en Inde (L’Inde, Ceylan, l’Indonésie, Malaisie etc.),
- les opérations de pêche, d’exploration et de découverte,
- la course maritime.

François Thoumelin, dont nous avons déjà parlé précédemment, participa à partir de l’île de France, ainsi à des voyages vers les Indes et aussi à des opérations de course dirigées par le chef d’escadre, monsieur Grout de Saint-Georges. Il toucha ainsi des parts de prises sur les navires capturés à l’ennemi.


La famille en France

Pour vivre, la famille restée en France touchait des acomptes. Ces derniers étaient versés à la femme du matelot qui se présentait avec un billet signé du prêtre de la paroisse certifiant qu’elle était bien l’épouse.

Par contre les nouvelles étaient rares. En effet, comme la plupart des matelots et leur famille ne savaient ni lire, ni écrire, ils ne pouvaient donc pas correspondre par courrier. La principale façon d’avoir des nouvelles était d’entendre à leur retour en France, des matelots connaissant l’homme resté aux Indes et qui l’avaient vu dans les mois auparavant.

Parfois, certaines personnes sachant écrire servaient d’intermédiaire pour rédiger une lettre au directeur de la Compagnie des Indes de Lorient afin d’avoir des nouvelles d’un marin. La lettre ci-après est un exemple de ce type de courrier :

Monsieur
La femme du nommé Jean Blanche canonnier dans
la Compagnie, m’a dit que vous aviez eu la bonté de
lui promettre il y a plus d’un an des nouvelles de son
mary. Elle est pauvre et chargée d’enfans. Je vous
prie en grace, et de sa part, je voudrois bien luy faire
scavoir des nouvelles de son mary, vous ferez une
charité. Si vous avez pour agréable en m’honorant
d’une réponse, de m’en inscrire, je lui en ferai part
aussitôt. Je suis avec respect
Monsieur
Vôtre très humble et très obéissant serviteur Blanchard
ancien procureur du roi, du Présidial de Quimper _A Josselin le 16 Août 1763.

D’autre part, la Compagnie tenait à jour la liste des équipages et lorsqu’un matelot décédait, l’écrivain du bord établissait l’inventaire des biens du décédé et dressait un procès-verbal, signé du capitaine et des autres officiers du bord. Une vente aux enchères des hardes et effets avait lieu à bord.

Au retour la famille était donc prévenue et touchait la solde due et le produit de la vente des biens. Le risque était que le navire, au retour, sombre ou soit pris par l’ennemi, supprimant ainsi la famille de toute information.

C’est ainsi que Florence Guzello apprendra le décès de son mari, Jean Robelet, bien longtemps après sa mort à l’hôpital de Port-Louis, par deux de ses compagnons lors de leur retour en France. N’ayant aucun document pour faire valoir ses droits à succession, elle fut obligée d’établir devant notaire un acte pour constater le décès de son époux 10 années et demie après.


Conclusion

Les matelots embarquant pour la Compagnie des Indes dans les années 1750 à 1790 partaient en général pour plusieurs années. Le matelot quittait la France pour des pays lointains : île Maurice, les Indes et la Chine.

La première étape était en général le voyage Lorient - Port-Louis de l’île de France. Cette ville était alors pour lui le port base où il vivait entre deux expéditions pour les Indes ou la Chine. Il avait peu de nouvelles de sa famille et cette dernière recevait aussi peu d’informations sur le père, le fils ou l’époux parti pour de longues années. La femme et les enfants restés en France devaient donc vivre seuls avec toujours l’angoisse de ne jamais revoir l’être cher.


Sources et bibliographie

[1] - L’abbé de La Caille - Observations sur l’île Maurice faites en 1753 - Revue agricole de l’île Maurice de mai - juin 1953 - pages 126 à 129.

[2] - Auguste Toussaint - Une cité tropicale - Port-Louis de l’île Maurice - Presses Universitaires de France - 1966.

[3] - Josiane Le Lan - La vie de François Thoumelin - La Chaloupe N° 52 - Pages 5 à 8.

[4] - Josiane Le Lan - Un acte de décès bien particulier - La Chaloupe N° 56 - page 13.

[5] - Encyclopédie Universalis. Article sur l’île Maurice.

[6] - Auguste Toussaint - La route des îles - Edts SEVPEN - 1967.

[7] - Auguste Toussaint - Le mirage des îles - Le négoce français aux Mascareignes au XVIIIe siècle - Edts EDISUD - 1977.

[8] - Auguste Toussaint - Histoire des Iles Mascareignes - Edts Berger-Levrault - 1972.

[9] - Auguste Toussaint - Les frères Surcouf - Edts Flammarion - 1979.

[10] - Philippe Haudrere - Gérard Le Bouëdec - Les Compagnies des Indes - Edts Ouest-France - 1999.

[11] - André Garriques - Guide visiteur du Musée de la Compagnie des Indes à Port-Louis.

[12] - Jean Boudriot - Compagnie des Indes 1720-1770 - Edité par l’auteur à Paris - Collection Archéologie Navale française - 1983.

[13] - Marcelle Lagesse - Ces hommes de la mer - Edt IPC.

[14] - Auguste Toussaint - L. Noël Regnard - J.R. D’Unienville - Dictionnaire de biographie Mauricienne.

[15] - Site Internet http://www.litterature-reunionnaise.org/pingre/3partie.htm#_edn18 - Sophie Hoarau et Marie-Paule Janiçon - Edition critique du Voyage à Rodrigue (1761-1762) d’Alexandre-Louis Pingré - Mémoire de maîtrise 1992 sous la direction du Professeur J.M. Racault.

[16] - SHM de Lorient - N° 1P282 B - liasse 80 - pièce 64 - lettre de monsieur Blanchard.


mercredi 1er mai 2002, par Jean-Yves Le Lan, Josiane Le Lan

Zamor Bongoût et l'église de Sainte-Croix


En 1848, dans la Vallée-des-Prêtres, Zamor Bongoût - un nom approprié pour cet esclave indien de Pondichéry, affranchi et devenu un restaurateur fortuné - fut touché par la grâce. Il possédait à la Prairie, au nord de la capitale un lot considérable de terrains avec une maison de campagne.

Zamor vint trouver le Père Laval pour lui dire « qu’il avait de grandes actions de grâces à rendre à Dieu qui l’avait toujours béni et que maintenant, il désirait lui témoigner sa reconnaissance d’une manière convenable ».
- Et que voulez-vous faire pour cela ? demanda le Père Laval.
- Je veux bâtir une chapelle en l’honneur de Dieu, répondit Zamor.
- Mais en quel endroit voulez-vous construire cette chapelle ?
- A la prairie, sur une des extrémités de ma propriété.
- Mais il n’y a personne à cette endroit, répartit le bon Père, c’est le plus désert de tous les environs.
- Peu importe, ils y viendront.
- Eh bien ! Monsieur Zamor, faites cette chapelle ; elle portera le nom de « chapelle de la Sainte-Croix », conclut le Père Laval.

C’est ainsi que Zamor se mit à l’œuvre et au bout de huit mois, la chapelle fut achevée. Il remit au Père Laval les clefs d’un élégant sanctuaire d’environ quarante pieds de long, sur dix-huit de large, de deux cents places, construit en dur, muni de bancs, d’un autel et des ornements nécessaires pour célébrer la messe.

Mgr Collier vint la bénir le dimanche de la Sainte-Trinité, le 18 juin 1848. Bientôt, la chapelle accueillit une foule si nombreuse qu’on fut forcé de l’agrandir.
En juin 1850, la veille de son départ pour l’Europe, Monseigneur Collier bénit la première pierre de la nouvelle église. Sa Grandeur fut reçue à la petite chapelle par les missionnaires et par tous les hommes du quartier, portant les instruments de travail : marteaux, scies, pinces… Elle devint l’église la plus spacieuse du diocèse après la cathédrale.
Evidemment, la Prairie avait perdu son nom pour s’appeler dorénavant « Sainte-Croix ». Cette chapelle était chère entre toutes au Père Laval.

Le nègre est dans le fourré

Le Nèg maron est dans les salles obscures. Sortie de film qui est l'occasion de revoir ses classiques coloniaux. Pourquoi "marron" ? Une évocation des coups reçus ? Pas tout à fait. Dans son édition 1971, le Larousse étymologique donne l'adjectif comme une altération de l'espagnol américain cimarrón, "réfugié dans un fourré". Le fourré, c'était l'ancien espagnol cimarra. D'ailleurs, en espagnol moderne, hacer la cimarra, c'est faire l'école buissonnière, et le cimarrón n'est plus qu'un animal domestique enfui.

Seghers publia en 1990 un très joli petit bouquin entre textes et aquarelles, de J. M. G. et Jémia Le Clézio, Sirandanes, les devinettes de l'île Maurice, suivies d'un court lexique de la langue créole et des oiseaux. C'est dans ce lexique que Le Clézio consacre ces lignes à "marron". La citation sera longue mais elle vaut le voyage :

"Les Espagnols disent cimarron, en parlant des Noirs (ou des Indiens) esclaves échappés des plantations et retournés à la vie sauvage dans les forêts ou les montagnes. L'origine de ce mot est peut-être l'hébreu marran, porc sauvage. Les sociétés de marrons sont passionnantes. A Maurice, dès le début des grandes plantations de canne, les Noirs prennent le large pour fuir les mauvais traitements. Ils trouvent refuge dans les montagnes au centre de l'île, au Pouce, et aussi dans le Sud-Ouest, dans la forêt de Machabé, et sur le rocher du Morne.Comme aux Antilles, comme à Porto Rico, comme au Brésil, ces Noirs désespérés, aguerris, forment une armée redoutable et cherchent à assouvir leur vengeance sur l'oppresseur blanc. Deux chefs rebelles ont laissé leur marque dans cette histoire, Saclavou, le Sakhalave, et Sangor, l'Africain, devenus personnages de légende, immortels. Traquée, affamée, rêvant peut-être de conquérir l'île, l'armée des parias brûle les domaines, razzie les villages, tue les Blancs et leurs serviteurs. Enfin les planteurs organisent des expéditions. Mieux armés, maîtres des points d'eau, les Blancs acculent les révoltés dans leurs rochers. Saclavou, pour ne pas avoir à se rendre, se jette du haut d'une falaise, dans la montagne du Pouce. Quand le vent souffle dans les vallées, c'est son gémissement qu'on entend encore. La révolte des marrons a sans doute pour cause le code terrible et honteux qu'on appelle au dix-huitième siècle le Code noir, prévoyant les châtiments pour les esclaves révoltés : bastonnades, mains coupées, jarrets tranchés. A la fin du [dix-neuvième siècle], la légende des Noirs marrons existait encore. Enfant, ma tante Camille était allée se baigner dans la rivière Ory, près de la maison familiale. Tout à coup un géant noir sort de la forêt, son regard est sauvage. La nourrice empoigne ma tante, l'entraîne en courant, en lui disant : 'Surtout, ne te retourne pas, c'est Sangor qui est revenu !'"

Chronologie à partir du XVéme siècle

1441 : Des navigateurs portugais ramènent les premiers esclaves au Portugal

1454 : Le Pape Nicolas V autorise le roi du Portugal à pratiquer la traite

1492 : Christophe Colomb fait son voyage transatlantique, des africains sont embarqués dans les caravelles dès le second voyage

1518 : Charles Quint autorise la traite et l’esclavage

1620 : Premières arrivées d’esclaves africains dans les colonies continentales africaines

1626 : Autorisation accordée pour déporter quarante esclaves nègres à l’île de saint Christophe (colonie française d’outre-mer)

1642 : Louis XIII autorise la traite

1643 : Première expédition française officiellement reconnue : l’Espérance de la Rochelle revient avec de Saint Christophe

1670 : Colbert accorde la liberté du commerce avec les îles

1672 : Première expédition négrière de Bordeaux (le Saint Etienne – de- Paris)

1673 : Création en France de la Compagnie du Sénégal qui conduit des africains aux Antilles et à la Guyane

1678 : 27 000 esclaves sont présents aux Antilles françaises

1684 : Création en France de la Compagnie de Guinée qui conduit des africains aux Antilles et à la Guyane

1685 : Promulgation par Louis XIV du Code Noir en France

1688 : Première expédition négrière de Nantes (la Paix)

1688 : Première expédition négrière de Saint Malo (le Pont d’Or)

1701 – 1713 : La France récupère l’asiento (exclusivité de la fourniture d’esclaves noirs pour les colonies espagnoles)

1713 : L’Angleterre obtient l’asiento

1716 : Permission royale de faire « librement le commerce des esclaves » accordée à Rouen, La Rochelle, Bordeaux, et Nantes

1725 : Fin du monopole effectif, la traite privée est libre en échange de droits payés

1726 : Saint Domingue compte 100 000 esclaves pour 130 000 habitants

1734 : Abolition en Hollande des privilèges sur la traite sauf en Guyane

1738 : Déclaration royale limitant le séjour des esclaves noirs en France à trois ans.

1749 : Quarante-quatre expéditions négrières quittent Nantes pour l’Afrique

1767 : En France, liberté totale de la traite sans droits à payer

1770 : Les Quakers interdisent à leurs membres la possession d’esclaves

1777 : Le Vermont (USA) décrète l’abolition graduelle de l’esclavage

1777 : L’île de France (île Maurice) compte 25150 esclaves sur 29760 habitants

1778 : Interdiction des mariages mixtes en France

1787 : Création de la société anti-esclavagiste (avec Wilberforce et Clarkson) à Londres

1788 : Création à Paris de la Société des Amis des Noirs

1789 : France – Déclarations Droits de l’homme et du citoyen : art 1 – « Les hommes naissent libres et égaux en droit » (sauf les noirs)

1789 : 700 000 esclaves aux Antilles françaises, première insurrection en Martinique

1791 : Troubles à la Martinique, à la Guadeloupe - en août révolte des esclaves de Saint-Domingue (Haïti).

1793 : Abolition de l’esclavage à Saint-Domingue (Haïti).

1794 : ( 4 février) décret de la Convention abolissant l’esclavage en France

1795 : Révolte des esclaves à Grenade, à St Vincent, à la Jamaïque

1796 : Aux Mascareignes, les colons n’appliquent pas l’abolition et renvoient les commissaires de la République

1802 : (20 mai) Bonaparte rétablie en France l’esclavage dans les colonies françaises conformément à la législation antérieure à 1789.

1803 : Mort de Toussaint Louverture au Fort de Joux

1803 : Interdiction de la traite négrière par le Danemark.

1804 : Proclamation de l’indépendance d’Haïti

1806 : Révolte des esclaves à Trinidad

1806 : Loi anglaises interdisant l’introduction de nouveaux esclaves dans les colonies conquises

1807 : Troubles à la Martinique

1807 : Interdiction de la traite négrière par la Grande-Bretagne et de l’importation de captifs et esclaves par les Etats-Unis.

1814 : Interdiction de la traite négrière par les Pays-Bas.

1814 : La France récupère la Guyane, Martinique, Guadeloupe, Sénégal et La Réunion, et les comptoirs des Indes. Elle y maintient l’esclavage

1815 : Les puissances européennes s’engagent à interdire la traite négrière au Congrès de Vienne (Grande-Bretagne, France, Autriche, Russie,Prusse, Suède, Portugal). 29 mars : décret de Napoléon Ier, pendant les Cent Jours, interdisant la traite négrière.

1817 : Louis XVIII signe une ordonnance interdisant la traite en France, démarrage de la traite illégale jusque vers 1830

1817 : Abolition de l’esclavage en Argentine

1818 : ( 15 avril ) première loi française interdisant la traite négrière.


1821 : Abolition de la traite et de l’esclavage au Pérou

1823 : Abolition de l’esclavage au Chili.

1826 : Abolition de l’esclavage en Bolivie.

1827 : (25 avril) deuxième loi française interdisant la traite négrière.

1829 : Abolition de l’esclavage au Mexique.

1830 : Abolition de l’esclavage en Uruguay et en Bolivie

1830 : Dernière expédition négrière nantaise reconnue : la Virginie

1831 : (22 février) troisième loi française interdisant la traite négrière.

1831 : Accord franco-anglais pour le contrôle de la traite illicite

1833 – 1838 : Abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques des West Indies, en Guyane britannique, à l’Ile Maurice.

1844 : Abolition de l’esclavage au Paraguay

1846 – 1848 : Abolition de l’esclavage dans les colonies des îles Vierges danoises.

1846 : Abolition de l’esclavage en Tunisie.

1847 : Abolition de l’esclavage dans la colonie suédoise de Saint-Barthélemy.

1848 : les esclaves des colonies hollandaises de St Martin, St Eustache et Saba se libèrent

1848 : (27 avril) Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

1849 : Dernier navire négrier français soupçonné : le Tourville aurait débarqué des esclaves au Brésil

1850 : Fin officielle du trafic d’esclaves au Brésil

1851 : Abolition de l’esclavage en Colombie.

1852 : (février) Premiers décrets français pour le recrutement de travailleurs libres sur contrats en Afrique puis en Inde, pour les colonies caraïbes.

1853 : Abolition de l’esclavage en Argentine.

1854 : Abolition de l’esclavage au Venezuela.

1855 : Abolition de l’esclavage au Pérou.

1863 : Abolition de l’esclavage dans les colonies néerlandaises des Caraïbes et en Insulinde.

1863 – 1865 : Abolition de l’esclavage aux Etats-Unis.

1866 : Décret espagnol interdisant la traite négrière.

1873 : Abolition de l’esclavage dans la colonie espagnole de Porto Rico.

1876 : Abolition de l’esclavage en Turquie.

1880 – 1886 : Abolition progressive de l’esclavage à Cuba.

1888 : Abolition de l’esclavage au Brésil.

1896 : Abolition de l’esclavage à Madagascar.

1963 : Abolition de l’esclavage en Arabie Saoudite

1980 : Abolition de l’esclavage en Mauritanie.

1988- 1992 : Loi d’abolition au Pakistan

2001 : (mai) promulgation de la loi française « reconnaissant la traite et l’esclavage (des XVe - XIXe siècles) en tant que crime contre l’humanité ».

2001 - septembre la Conférence mondiale des Nations Unies contre le racisme la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.(Durban, Afrique du Sud) reconnaît « l’esclavage et la traite négrière transatlantique comme crime contre l’humanité ».

2004 : (5 janvier) Décret en France instituant le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage

2006 : En France, le 10 mai est institué journée de commémoration de la l’abolition de l’esclavage

La chapelle Saint-Thomas des Indiens

Datant de la seconde moitié du XIXe siècle, la petite chapelle Saint-Thomas des Indiens, bien que méconnue au sein du patrimoine religieux de la ville de Saint-Denis, a pourtant participé pleinement à la vie urbaine et culturelle du chef-lieu. À l’époque, l’édifice avait pour fonction la catéchèse auprès des engagés indiens, sous la direction des jésuites. Ce patrimoine symbolise toute la stratégie de colonisation des âmes, qui est venue compléter celle des terres et des corps, à une époque où l’Église et l’État ne faisaient encore qu’un. Alors que l’association Reauvi (Association Réunion audio visuel) tente de mobiliser l’État et les collectivités pour réhabiliter ce site en lui donnant une fonction culturelle et inter-religieuse, les quelques rares témoins qui ont vécu autour de la chapelle Saint-Thomas des Indiens se souviennent de cette époque, de la rigueur du père Sébastien Ortschitt ou encore de ce jeune garde champêtre envoûté par le regard furtif d’une des religieuses cloîtrées, les Sœurs Réparatrices.

L’histoire de la chapelle Saint-Thomas des Indiens, située à l’angle de la rue Monseigneur de Beaumont (autrefois rue de la Fontaine) et la rue Montreuil à Saint-Denis, commence le 16 avril 1860 par l’acquisition par l’évêque Armand René Maupoint d’un terrain appartenant à Charles Arthur Vergoz, riche propriétaire de Sainte-Rose. Ce dernier avait occupé cette parcelle de terrain, à l’époque longue de plus de cent trente mètres sur vingt-sept mètres de large, pour y faire du maraîchage. Pendant quelques années, Charles Arthur Vergoz y faisait cultiver salades, pommes de terre, tomates, avant de laisser ensuite le terrain en friches. En fait, la propriété appartenait à son épouse, une demoiselle Marie-Anne Célestine Augustine Ozoux dont le frère, le célèbre docteur Ozoux, possédait une très belle maison de maître dans la rue Charles Gounot, malheureusement aujourd’hui disparue. À la mort de celle-ci, ce sont ses deux jeunes enfants, Gustave et Amélie Vergoz, qui ont hérité du terrain de la rue Monseigneur de Beaumont. Finalement, pour faire face à ses difficultés financières dues à des investissements à risques sur le domaine de Bois Blanc, leur père décide de vendre l’héritage laissé par leur mère. C’est ainsi que le terrain de Saint-Denis appartiendra définitivement au patrimoine du diocèse de la Réunion. Le terrain fut vendu à monseigneur Maupoint pour la somme de six mille francs et c’est l’ingénieur colonial Schneider qui dressa les plans pour le compte de l’évêché, en vue de la construction de la future chapelle destinée aux Indiens.

Les deux statues déposées à Rome

En effet, de 1848 à 1870, la colonie post-esclavagiste avait introduit exactement 64 948 travailleurs engagés dont 37 777 originaires de l’Inde. Une mesure rendue nécessaire pour répondre aux besoins économiques, et notamment pour fournir la main d’œuvre des usines sucrières de l’île. C’est ainsi qu’en 1852, à la demande de monseigneur Deprez de la Propagation de la foi chrétienne, fut fondée la mission Saint-Thomas des Indiens. En 1853, le père Joseph Gury fut le premier missionnaire à quitter l’Inde pour rejoindre la Réunion et développer ainsi la mission indienne dans l’île. S’ensuivirent des pères jésuites et catéchistes venus toujours de l’Inde, sur les traces de l’apôtre Thomas, et payés par l’évêché de la Réunion pour initier les tamouls au christianisme. Dans un premier temps, cette formation s’adressait aux anciens esclaves indiens ayant déserté les grands domaines et établissements sucriers au lendemain de l’abolition de l’esclavage en 1848. C’est donc dans ce but que fut édifiée la chapelle Saint-Thomas des Indiens sur cette première portion de terrain ayant appartenu à la famille Charles Arthur Vergoz. Une deuxième portion, située le long de la rue Montreuil, et sur laquelle se trouvaient déjà une maison principale et ses dépendances, fut par la suite acquise par monseigneur Victor Delanoy pour la somme de dix mille francs. Cette demeure, aujourd’hui disparue, constituait en fait la fameuse Résidence du Butor dont les pères de la Compagnie de Jésus avaient fait l’acquisition en 1846, grâce au soutien financier de l’abbé Minot, alors vice-préfet apostolique. Dans une note datant du 10 juin 1878, l’évêque de Saint-Denis, monseigneur Dominique Marie-Clément Soulé, avait autorisé l’acquisition du second terrain afin d’y édifier l’orphelinat indien en mitoyenneté du lieu de culte. La construction de la chapelle et des édifices de l’orphelinat a été terminée grâce à l’aide financière du conseil général de la Réunion en 1873. Les documents des archives départementales font état de la commande de quinze ouvrages de droit indien et de deux statues de la vierge placées à l’intérieur de la chapelle. Ces deux œuvres furent par la suite déposées au Musée missionnaire de Saint-Jean de Latran à Rome. Jusqu’en 1900, la chapelle abrita une école avec internat réservée aux tamouls. À cette époque, on comptabilisait à peine une centaine de sacrements du baptême et de conversions. Bien que les documents des archives de l’évêché confirment le financement du fonctionnement de la chapelle et de l’école par la Propagation de la foi chrétienne de 1842 à 1899, l’instituteur chargé de l’enseignement d’une quarantaine d’élèves tamouls fut congédié en 1900, soit deux ans après que la Propagation de la foi chrétienne ait suspendu son soutien financier. Restée propriété du diocèse pendant l’application de la loi sur la laïcisation à partir de 1911, la chapelle Saint-Thomas des Indiens fut ensuite cédée à l’Association diocésaine le 11 juin 1942 par un décret du gouverneur du 12 mai de la même année. Ce dernier a ordonné au commissaire de police du deuxième arrondissement de Saint-Denis d’effectuer un inventaire de la chapelle Saint-Thomas des Indiens, en précisant que “l’avoir d’une église comprend des biens de deux natures différentes”. À savoir, les objets servant au culte public placés dans les églises et sacristies, et la mense curiale, c’est-à-dire la jouissance du presbytère ou de la cure, jardin y attenant, meubles, rentes affectées à l’entretien du curé, etc... Les pouvoirs publics ont estimé que ces biens étant gérés par la fabrique “Église et sacristie”, l’État avait un droit de regard. Rappelons que nous sommes au lendemain de la loi de la séparation de l’Église et de l’État et que par conséquent, nombreux sont les ardents défenseurs de la laïcité à prendre leur revanche sur certains prêtres à qui l’on reprochait leur influence et leur pouvoir sur la population. D’ailleurs à cette époque mouvementée, dans certaines églises de l’île, des paroissiens n’hésitaient pas à venir frapper à la porte du curé pour exiger un inventaire du patrimoine de la paroisse. Les différents prêtres chargés des offices à la chapelle Saint-Thomas se sont opposés à tout inventaire du service des domaines, prétextant que la fabrique n’existait plus. De quoi exaspérer le gouverneur Auber qui lui, estimait au contraire que les marguilliers (membres du conseil des clercs chargés de l’administration financière de l’église) de la chapelle de la rue Monseigneur de Beaumont continuaient à subsister. Les responsables de la chapelle Saint-Thomas ont régulièrement ignoré la convocation du gouverneur qui dut s’imposer pratiquement par la force pour que les services du domaine effectuent l’inventaire. Il faut dire qu’à cette époque, la petite église constituait une vraie petite merveille de reliques et de bois précieux. Tout a disparu mystérieusement au fil du temps... Cela dit, pendant la guerre, on y entreposait à l’intérieur de la chapelle des vivres, notamment le sucre des usines sucrières de la Mare et de Quartier Français.

“I occupe la fesse do moune”

À partir de 1952, l’Association diocésaine crée le couvent des religieuses de Marie-Réparatrice. Dans une lettre datant du 11 janvier 1952, monseigneur de Langavant, alors évêque de la Réunion, confirme que la Société de Marie-Réparatrice est désormais propriétaire du couvent ainsi que du terrain sur lequel sont édifiés les bâtiments et la petite église. Pour éviter tout contact avec l’extérieur, une cloison est alors installée entre la nef et le chœur. C’est ainsi qu’une trentaine de religieuses cloîtrées ont vécu dans les murs de ce couvent. Pendant vingt ans, les religieuses de Marie Réparatrice dispensèrent la catéchèse et distribuèrent la soupe populaire aux côtés de Jules Henri le créateur de la Soupe populaire. Certains anciens paroissiens du quartier du Butor et de Saint-Jacques se souviennent encore de cette époque où la chapelle Saint-Thomas des Indiens était un haut lieu de prière et de recueillement. Un missionnaire venu de l’Inde célébrait la messe tous les dimanches dans la langue tamoule. Ainsi, Léonel Parassouramin, retraité de l’Éducation nationale, évoque encore avec nostalgie les dimanches après-midi où, derrière les barreaux de séparation, totalement dissimulées par leur voile, les religieuses invitaient les paroissiens à participer aux “patronages”, prières aux saints patrons. “Seules les femmes et jeunes filles pouvaient participer à ces après-midi. Les hommes et les jeunes gens y étaient exclus”, raconte Léonel Parassouramin. Sur la porte d’entrée du cloître on pouvait lire :“Nous sommes comme les fleurs du jardin, elles ne servent à rien mais il n’y aurait pas de jardin si on n’existait pas”, se souvient Mathilde Hoareau qui, avec sa mère, ne manquait jamais une messe à la chapelle Saint-Thomas des Indiens. “D’ailleurs, vous savez à cette époque, il était hors de question de s’abstenir d’assister à une cérémonie. Le curé, mais aussi les paroissiens du quartier, ne manquaient pas de le faire remarquer. Le quartier n’était pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. On était moins nombreux et du coup tout était prétexte à un commérage. Comme on dit souvent, c’est comme ça que les gens té occupe la fesse do moune !”, explique l’ancienne employée de mairie qui vit paisiblement une retraite bien méritée entre sa petite maison de la rue Sainte-Marie et la maison de sa fille aînée dans les hauts de La Possession, plus précisément au Dos D’Âne. Lorsqu’il évoque la chapelle Saint-Thomas des Indiens, Léonel Parassouramin ne peut s’empêcher de penser au père Ortschitt. Selon lui, lorsque les anciens se promènent devant la petite église, ils ont encore l’impression d’entendre résonner la voix de ce curé qui rappelait quelque peu celle de monseigneur Guibert mais avec un accent germanique. Originaire d’Alsace, le père Sébastien Ortschitt partageait son temps entre l’église Saint-Jacques et le couvent des religieuses de Marie Réparatrice. D’ailleurs, ces dernières l’appréciaient particulièrement pour sa rigueur et sa sévérité. “On ne plaisantait pas avec le père Ortschitt”, soutient Léonel Parassouramin. Une sévérité légendaire que les anciens n’ont toujours pas oubliée. Ainsi, le deuil était obligatoire - dix-huit mois pour la famille proche, parents, frères et sœurs, six mois pour le parrain et la marraine. Et pour que les enfants illégitimes puissent bénéficier du sacrement du baptême, parrain et marraine étaient considérés par le père Ortschitt comme “complices du péché”. Il fallait donc que ces derniers se prosternent devant la Vierge et prient pour l’enfant qu’on devait baptiser. “Quand on allait se confesser, il exigeait qu’on parle fort, et comme cela résonnait dans la chapelle, tout le monde entendait ce qu’on avouait au curé”, raconte Léonel Parassouramin. “Alors (rire), quand on voulait entendre les secrets de telle ou telle personne, on allait se confesser en même temps qu’elle. Et là on apprenait des choses...”.

Envoûté par le regard - d’une religieuse

Pas question à l’époque d’assister à la messe en chemise à manches courtes ou “débraillé”. Les femmes devaient se couvrir la tête avec le fameux manti, le foulard qui a fait tant couler d’encre. “La messe était célébrée tous les jours à seize heures précises par le père Ortschitt. Vous savez autrefois, il n’y avait pas de distraction, alors la petite chapelle était pleine à craquer. Et puis, aujourd’hui on peut l’avouer, comme les religieuses cloîtrées étaient derrière la barrière, on venait à la messe avec l’idée d’entrevoir l’une d’elles. Leur existence aiguisait notre curiosité. D’autant que selon certains ladi lafé, il y avait des religieuses qui étaient très belles”, raconte l’ancien fonctionnaire de l’Éducation nationale. Mathilde Hoareau se souvient encore de cette histoire d’amour impossible entre “Tétin”, le garde champêtre qui sillonnait tout le Butor avec son tambour pour annoncer les “avis à la population” de la mairie et cette jeune cloîtrée de Marie Réparatrice. “Le bâtiment des religieuses donnait sur la rue Montreuil et il y avait donc des fenêtres dont les rideaux étaient toujours tirés. Un jour, alors que “Tétin” passait par cette rue avec son tambour, certainement poussée par la curiosité, une des religieuses a discrètement regardé à l’extérieur à travers les rideaux. Son regard a croisé celui de “Tétin” qui est resté figé pendant un bon bout de temps face à ce regard troublant et mystérieux de la religieuse, avant que celle-ci disparaisse derrière la tenture. Sans doute le coup de foudre,” explique Mathilde. “Vrai ou pas ? Toujours est-il que le jeune garde champêtre déjà très épris de la cloîtrée par ce simple regard s’est empressé de raconter ce qu’il venait de vivre à sa famille”. Durant des jours et des semaines, il emprunta la rue Montreuil et resta pendant des heures sous le pied de tamarin situé face aux fenêtres du carmel pour croiser à nouveau ce regard qui l’avait tellement envoûté. Finalement, le père Ortschitt finit par connaître l’histoire et fit déloger notre Roméo du pied de tamarin. Selon Léonel Parassouramin, cela n’a pas suffi pour décourager “Tétin” qui continua encore pendant très longtemps à venir s’asseoir sous le pied de tamarin. Naturellement, il ne revit jamais la religieuse et, dit-on, il serait mort célibataire. “Je sais que dans les années 1960, il habitait à Sainte-Marie et qu’effectivement il était resté célibataire, et puis on l’a perdu de vue ; on a appris sa mort par la radio sur l’ORTF une dizaine d’années plus tard”, souligne-t-il. Pour subvenir à leurs besoins, les quelque quarante religieuses du couvent confectionnaient des ouvrages de broderie, ainsi que des objets religieux tels que des chapelets ou des icônes de la vierge placées à l’intérieur de cadres en bois. En 1970, le couvent est fermé, une partie des religieuses de la congrégation quitte la Réunion pour l’île Maurice, alors que les autres rejoignent le Carmel de la Colline du Rosaire. Tous les objets et les meubles ont été cédés ou vendus. Léonel Parassouramin, lui, a gardé précisément l’imposant moulin à café des sœurs de la Réparation, ainsi que quelques verres en cristal et gobelets en bois. En 1971, le bâtiment ainsi que la chapelle Saint-Thomas des Indiens sont légués à la paroisse de Saint-Jacques. Fermée au public, le petite église de la rue Monseigneur de Beaumont devient par la suite un lieu de culte réservé à l’usage exclusif de la Maison des œuvres, mais c’est l’Association diocésaine qui a en charge la gestion de l’édifice aujourd’hui inscrit sur l’inventaire complémentaire des Monuments historiques. Depuis quelques années, l’Association Reauvi tente de mobiliser les collectivités mais surtout la Direction régionale des affaires culturelles afin de réhabiliter la chapelle Saint-Thomas des Indiens. “Notre association Reauvi envisage de restaurer ce patrimoine historique afin de le transformer en un lieu culturel qui se déclinerait autour d’activités inter-religieuses”, soutient Claire Guitard qui multiplie ses efforts pour redonner vie à la chapelle Saint-Thomas des Indiens.

• Appel à témoins Dans le cadre de ses recherches sur la Chapelle Saint-Thomas des Indiens, l’Association REAUVI est à la recherche de personnes pouvant témoigner sur la vie autour de cet édifice du la rue Monseigneur de Beaumont. Un numéro de téléphone est mis à la disposition de ces témoins de l’histoire, 02 62 20 10 82

État et communautarisme

Etat et communautarisme : le cas de l’île Maurice
Cultures & Conflits n° 15-16 (1994) pp.89-126
Marina Carter

Les amateurs d'exotisme ont retenu plus souvent l'idylle de Paul et Virginie que les rudes pages sur la société coloniale, qu'écrivit Bernardin de Saint-Pierre dans le Voyage à l'île de France. Les touristes font de même et, quand ils arrivent à Maurice, voient surtout ce que la publicité leur a promis : l'île paradisiaque où, sous la houlette d'un Etat débonnaire, toutes les ethnies vivent en heureuse harmonie. Sans rejeter cette image, des Mauriciens la complètent et, s'ils saluent la qualité de leur régime politique, admettent l'existence du "communautarisme", c'est-à-dire d'un antagonisme entre les communautés1.

Louis Favoreu, qui écrivait en 1970 : "L'Ile Maurice sera la démocratie parlementaire de l'Océan Indien, si elle parvient à survivre", se félicite de constater aujourd'hui "le caractère exceptionnel de la réussite" du jeune Etat qui, tout en restant membre du Commonwealth, a proclamé la République en 19922. Le Président Uteem salue dans cette publication commune "l'enrichissement que procure la confrontation des concepts", au carrefour desquels son pays est placé3. En le paraphrasant, on pourrait suggérer que le secret mauricien tient peut-être à la "confrontation des communautés", dont l'Etat a su s'enrichir, en fondant sa légitimité et sa solidité non malgré elles mais grâce à elles. Pourtant en 1994, Aneerood Jugnauth, le Premier ministre, connaît des difficultés et dans l'île paradisiaque la morosité semble faire tache d'huile4. Malaise d'ordre général ou malaise auquel participeraient les antagonismes communautaires ? Les débats entretenus par une presse omniprésente révèlent l'existence d'une mosaïque où le social, le politique et le religieux s'imbriquent au quotidien, avec une tradition de précoce "marquage communautaire" des journaux5. Le nombre, la qualité et la diversité de ces derniers surprennent, mais aussi la vigueur avec laquelle s'exprime l'esprit critique, nous en verrons des exemples. Un des supports et des régulateurs de la démocratie mauricienne est manifestement constitué par cette presse. Groupes et individus y trouvent frein et protection, en complément de ceux que leur apporte le système judiciaire. Un barreau vigilant et une magistrature puissante et respectée sont en effet une des autres caractéristiques de l'île6.

Au lendemain de l'indépendance, obtenue en 1968, on pouvait se demander si la communauté nationale existait, tant les différences entre des groupes ethniques rassemblés sur un espace restreint étaient visibles7. La question se pose aujourd'hui en termes différents, mais, face à l'Etat, les communautés restent si présentes que l'on ne peut éviter le détour par l'histoire8. Celle-ci aidera à comprendre le poids respectif des groupes communautaires dans la vie politique. Elle aidera à la perception diachronique des conflits d'intérêts et à celle de la cristallisation de l'identité sous la pression des enjeux économiques, des stratégies familiales, plus simplement, de la mémoire. On a dit que l'Etat avait parfois créé les communautés en les institutionnalisant. Ici, elles sont nées avant lui, préexistant à l'indépendance, mais évoluant avec celle-ci, plus vite, semble-t-il, qu'elles n'avaient évolué au temps de la colonisation. Leurs relations avec l'Etat mauricien très proche sont, en outre, bien différentes de ce qu'elles avaient été avec les gouvernements métropolitains. Aidées par ces derniers ou s'affirmant contre eux, ces communautés blanches, "créoles" et asiatiques (essentiellement indiennes) s'étaient insérées précocement dans le jeu politique9. Aujourd'hui, plus fractionnées qu'autrefois, elles ont leur place dans la vie nationale et une des formes les plus nettes de leur reconnaissance est la pratique des best losers, sièges de députés attribués aux "meilleurs perdants", selon un mécanisme dont nous analyserons le détail. Mais s'en tenir à ce qui est officiellement admis conduirait à ignorer bien d'autres "répartitions communautaires", dans tel ministère ou telle administration. Le pragmatisme, le "non-dit" semblant, en l'occurrence, autant de pièges tendus au chercheur que de garanties supplémentaires qu'Etat et communautés se proposent, dans une réciprocité de services rendus. Gageure que de gouverner pour des hommes politiques qui représentent chacun une communauté, élus de la nation, au nom de toutes les communautés : le pari est-il tenu et, si oui, comment ?

Nous examinerons d'abord comment les communautés se sont mises en place à Maurice et ce que le pouvoir central a fait pour les utiliser. Moment décisif de cette histoire, la préparation et la gestion de l'indépendance : entrées en politique, les communautés pèsent sur l'Etat. Le jeu électoral va-t-il obligatoirement les valoriser ou permettra-t-il aux partis de s'appuyer sur les notions unitaires de "peuple", de "nation" ? L'actualité nous sollicitant, on traitera ensuite, à l'aide de trois études de cas d'inégale importance, de la question du difficile fonctionnement d'une démocratie de type communautaire. Celle-ci a été placée en 1993 et 1994 devant des choix qui ont passionné l'opinion. Chaque fois, à l'appel ou sous la pression d'une ou de plusieurs communautés, l'Etat laïque s'est trouvé impliqué dans des affaires religieuses ou empêtré dans le legs colonial.

MISE EN PLACE DES COMMUNAUTES, NAISSANCE D'UNE NATION Les marques du passé Courte histoire que celle de Maurice, dont les versants cachés se dévoilent non sans peine car, comme l'écrit Suresh Mourba10, ils plongent dans les "profondeurs maternelles". Profondeurs de l'esclavage, de l'engagisme, de la conquête des libertés : toutes réalités sans la connaissance desquelles l'avenir se construirait mal11. "Périlleuse aventure" que de décrire le processus de structuration sociale qui donne naissance à une entité mauricienne, système de cohabitation, état d'équilibre dont, selon la formule d'Uttama Bissoondoyal, les assises sont "vulnérables à l'attrait sexuel, aux bouleversements économiques et politiques", et dont l'histoire ouvre la porte à un "long pèlerinage"12.

Ile des Mascareignes, Maurice appartient à un archipel qui présente quelques analogies avec celui des Antilles, mais qui est aussi très différent. L'Atlantique, barrière immémoriale, offre aux Européens, depuis la fin du XVe siècle, l'avantage de conduire aux richesses américaines : des Antilles, on peut savourer les proches promesses du continent. L'Océan Indien, lui, est depuis au moins une vingtaine de siècles une "Méditerranée", espace maritime unissant ses riverains, lieu d'un remarquable "continuum culturel", mais lieu aussi de pesantes insularités. Depuis l'Antiquité, les navigateurs occidentaux avaient considéré avec effroi les immensités marines, sur lesquelles, finalement, leur désir d'épices les jetait. Désir que l'Atlantique laissait inassouvi mais que l'Océan Indien pouvait combler, offrant, de surcroît, l'or, les esclaves et un capital de rêves. De ces derniers naissait l'étrange alliance de l'Eden et de l'Eldorado. Celui-ci, recherché avec cupidité aux Amériques, semblait présent en un nouveau monde indianocéanique où les Européens, qui s'y aventuraient peu, fixaient aussi avec insistance le lieu du Paradis terrestre13.

L'archipel des Mascareignes, connu précocement, semble être resté désert jusqu'au XVIIe siècle. Les Portugais le visitent entre 1511 et 1538. Les Hollandais prennent possession de Maurice en 1598, mais ne s'y installent qu'en 1638 et l'abandonnent en 171014. Après plusieurs occupations éphémères, les Français s'implantent durablement à Bourbon en 1663 et, en 1721, envoient quelques hommes à Maurice, qui était redevenue déserte, et prend alors le nom d'île de France15.

Les hésitations et la modestie de ce début de colonisation s'expliquent par la petite taille de l'archipel et son éloignement de l'Europe, autant que par la médiocrité des ressources que l'on peut y commercialiser. Situées à l'est de Madagascar et à 20 degré de latitude sud, les Mascareignes représentent quelque 4500 km2 de terres émergées, dont plus de la moitié revient à la Réunion. L'Etat mauricien, lui, dispose aujourd'hui d'environ 2000 km2, répartis entre la minuscule Agalega, la petite île Rodrigues et l'île Maurice proprement dite. Dans cette île, les habitants d'origine indienne représentent à peu près 70% de la population sur unr total dépassant le million. On a coutume de dire que leurs ancêtres sont venus, comme coolies c'est-à-dire "engagés", travailleurs libres sous contrat, remplacer les esclaves dans les plantations sucrières au moment de l'Abolition. Ce schéma n'est que grossièrement vrai. S'en contenter serait ignorer des aspects essentiels de l'origine et de l'évolution des relations communautaires.

Au cours de leur brève installation à Maurice, les Hollandais avaient utilisé quelques dizaines d'esclaves, venus essentiellement du Bengale et de la côte de Malabar. Les Français emploient à leur tour des esclaves, parmi lesquels la présence d'Indiens est attestée dès 172816. On tire volontiers parti de leur aptitude pour les travaux de cuisinier et de lingère, de cordonnier ou de maçon. L'amiral Kempenfelt précise, en 1758 : "The slaves who are from Bengal are generally for home service, they are of a docile character"17. Milbert, au début du XIXe siècle, loue la douceur, l'honnêteté et la propreté d'esclaves indiens, dont certains savent lire et que l'on emploie de préférence "à des ouvrages qui demandent du soin et du raisonnement". Ces hommes, poursuit-il, sont "les plus beaux et les mieux faits". Qualités que possèdent aussi les Indiennes, que des planteurs n'hésitent pas à choisir comme compagnes18.

Sous La Bourdonnais, gouverneur des Mascareignes de 1735 à 1746, on voit aussi des Indiens libres qui s'installent à Port-Louis comme tailleurs, cordonniers ou orfèvres19. Ces artisans viennent du Sud de l'Inde20. La religion de la majorité d'entre eux est l'hindouisme, mais les musulmans sont précocement présents, "Lascards" employés au cabotage et aux réparations navales, qui reçoivent, en 1805 l'autorisation d'édifier leur première mosquée. Les deux groupes s'entendent parfaitement, estime Musleem Jumeer21. On trouve en outre des Indiens catholiques : esclaves baptisés sur place ou Indiens libres arrivés déjà convertis des Comptoirs français. Aspirant "à un christianisme à visage indien (...) les indo-catholiques" semblent avoir réussi "une expérience de transculturation". Mais leur nombre est difficile à préciser, ne serait-ce que parce que la multiplication de prénoms chrétiens dans la population servile, n'est "aucunement signe de baptême"22. Les formes d'apostolat aussi bien que l'habitat peuvent en tout cas contribuer à maintenir le sentiment d'appartenance communautaire : à Port-Louis, les Indiens libres se regroupent dans un faubourg, auquel ils ont donné leur nom dès 1781, c'est le "Camp des Malabars"23. On signale en 1829 que la paroisse catholique de cette ville dispose d'une "succursale appropriée aux Indiens Malabares"24. Certains Indiens libres, souligne d'autre part Doojendraduth Napal, connaissent une promotion précoce : propriétaires d'esclaves, voire propriétaires fonciers, comme Raina, "chef interprète", qui parvient à acheter un terrain en 177325.

Françaises jusqu'aux défaites de Napoléon, les Mascareignes sont occupées par les Anglais à partir de 1809 (Rodrigues) et de 1810 (Bourbon et Maurice). Aux traités de paix, seule l'île Bourbon est rendue aux Français. Pendant les premières décennies du XIXe siècle, l'orientation de l'archipel vers une production sucrière exigeante en main-d'œuvre pousse les planteurs à réclamer toujours plus de bras à la traite négrière. L'interdiction de celle-ci conduit à un trafic illégal d'esclaves mais aussi à des formules de travail libre, quand il devient certain pour les métropoles que la fin de la traite est le prélude à la fin de l'esclavage26. Madagascar et l'Afrique, les pourvoyeurs les plus proches, ne suffisent plus à satisfaire les planteurs qui sollicitent aussi l'archipel malais 27. Mais, comme l'avaient fait leurs ancêtres, ils songent surtout à l'Inde pour en recevoir un renfort de peuplement. C'est le coolie-trade qui va le procurer.

En 1840, Lord Russell se déclare peu disposé à favoriser "the transfer of labourers from British India", ajoutant : "I am not prepared to encounter the responsibility of a measure which may lead to a dreadful loss of life on the one hand, or, on the other, to a new system of slavery". Formule qui va fournir son titre à un livre fameux28. L'ouvrage fait école, ainsi B. Benedict écrit : "Imported Indian labourers were treated like slaves"29. Certes des nuances ont été apportées au bilan de l'engagisme. Certains aspects, positifs pour les travailleurs, ont été soulignés, par exemple dans le cas du Surinam et de Maurice même30. Mais dans la mémoire collective des descendants de coolies les aspects négatifs continuent à l'emporter. Plusieurs auteurs, comme H. Tinker lui-même, continuent, pour leur part, à souligner les traits communs aux systèmes d'engagement et d'esclavage : vie quotidienne, unité sociale de la plantation close, contrôle hiérarchique sévère, stimulation par les sanctions et non par le salaire, abus constatés dans le recrutement et lors du renouvellement des contrats31. A Bourbon, les engagés, surtout des Tamouls, sont arrivés dès 1828, c'est-à-dire vingt ans avant l'abolition de l'esclavage. Il s'y avère que celui qui saisit l'outil est saisi par lui : l'Indien, faisant le travail du "pioche", le plus fruste des esclaves, lui est assimilé32. Homosexualité et prostitution sont favorisées par la rareté des recrutements de femmes33. Salaires, nourriture, mauvais traitements, travail excessif sont tout au long du siècle l'objet de contestations et de dénonciations34. A Maurice, des engagés sont appelés dès 1829, mais le premier flux important, 25 000 travailleurs environ, date des années 1834-1838. Ces immigrants, des "hill coolies", choisis "parmi les populations de castes inférieures et tribales de l'Inde", sont installés par les employeurs dans les "camps" des plantations35. Leurs conditions de vie suscitent de telles protestations que les recrutements sont interdits pendant plusieurs années36. Soutenus par de rares philanthropes, comme Plevitz, les Indiens luttent eux-mêmes pour faire reconnaître leurs droits d'hommes libres. Venus surtout du Nord de l'Inde, et en particulier du Bihar, ils sont près de 450 000 à avoir été recrutés entre les premières arrivées du XIXe siècle et 190737.

La mise en place de nombreuses "communautés" à Maurice et dans les îles voisines, et les dominantes des oppositions communautaires, sont donc issues de la recherche forcenée de main-d'œuvre à l'époque de la colonisation. Une oligarchie sucrière et commerçante, essentiellement d'origine française même au temps de la domination britannique, a recruté fort loin des travailleurs. Les esclaves les plus nombreux sont venus d'Afrique et de Madagascar. Leurs descendants, plus ou moins métissés, constituent le fonds de la population dite créole. Le bill d'émancipation de 1833 marque le démarrage de la grande immigration d'engagés ou coolies venus de l'Inde. Leurs descendants représentent le plus grand nombre des Indo-Mauriciens actuels. Mais il est important de se souvenir de plusieurs réalités, parfois niées avec véhémence pour des raisons idéologiques : la spécificité du groupe créole (sur laquelle nous reviendrons), l'existence d'Indiens esclaves, présents dans l'île aux côtés des premiers Européens, et d'Indiens libres de niveau social non négligeable. Les uns et les autres, appartenant à des groupes souvent différents de ceux qui fourniront les gros contingents du XIXe siècle, sont appréciés des colons et des voyageurs. Au contraire, les Indiens qui arrivent massivement après l'émancipation sont l'objet de critiques acerbes38. Il semble que, tout en ne pouvant se passer d'eux, on leur reproche leur nombre, leurs maladies, leurs coutumes, et surtout finalement de n'être pas esclaves, alors que la plantation n'arrive pas à se déprendre des empreintes de la servitude.

Les Indiens de Maurice ont attendu longtemps avant de faire leur apparition sur la scène politique. La constitution de 1885, en vigueur jusqu'en 1947, permet à l'oligarchie blanche de tenir à l'écart la plupart d'entre eux. Il est vrai que le corps électoral, limité par des exigences de cens et d'alphabétisation en langue anglaise, est très réduit. Aux élections législatives de 1886, il y a 3 931 électeurs pour 359 874 habitants. Sont inclus dans ce total 248 983 Indiens, dont seuls 293, une proportion infime, peuvent voter39. La peur de la submersion indienne est cependant manifeste dans le reste de la population. Un mouvement de "rétrocession", c'est-à-dire de retour à la France, y puise une bonne part de ses troupes, au lendemain de la Guerre de 1914. Les champions de la "rétrocession" sont des gens de couleur et non des Franco-Mauriciens40. Au-delà du désaveu de la plupart de ces derniers, une coupure "communautaire" autrement plus grave s'exprime, celle qui oppose les métis de culture française à la "foule innombrable des laboureurs indiens incultes" et au petit noyau de bourgeoisie hindoue et musulmane qui témoigne aux Anglais une "loyauté sans pareille"[[M. Jumeer, "Le mouvement de rétrocession et les cultures française et indienne à l'île Maurice (1918-1921)", Relations...,

Notes de bas de page
1 M.D. Oodiah, "Communalisme/Ethnicité : théories, concepts, notions, analyses : revue critique et nouvelles perspectives", Journal of Mauritian Studies, vol. 2, n° 2, Moka, Mahatma Gandhi Institute, 1988, p. 86-134.
2 La Constitution de la République de Maurice en versions anglaise et française, avec un répertoire par article de la jurisprudence en matière constitutionnelle, Louis Favoreu (dir.), (CERSOI et GERJC, Université d'Aix-Marseille III), préface de Cassam Uteem, Président de la République de Maurice, Port Louis, Mauritius, Best Graphics Ltd, 1993, VII-292 p. (p. VI).
3 Ibid., p. V.
4 Dans son numéro du 24 juillet 1994, Week-End titre en 1ère page : "La déprime de la population et l'impopularité personnelle du PM confirmées". 85% des 2 300 personnes interrogées estiment qu'un malaise social existe dans l'île et 91% que la vie y "est devenue stressante".
5 G. Benoît, The Afro-Mauritians. An Essay, Moka, MGI, 1985, (X)-105 p., p. 63 : "The Franco-Mauritians had their Cernéen (1832), the Tamilo-Mauritians The Mercantile Advertiser (1868), the Indo-Mauritians The Hindusthani (1909), the Islamo-Mauritians The Anjuman Islam Maurice (1883), the Sino-Mauritians The Mauritius Chinese Gazette (1895) and the Creolo-Mauritians La Balance (1832) and La Sentinelle (1843)".
6 J. Colom, La justice constitutionnelle dans les Etats du nouveau Commonwealth : le cas de 1'Ile Maurice, préface de L. Favoreu, PUAM et Economica, Aix, Paris, 1994, 244 p. (Texte remanié d'une thèse de doctorat d'Etat, soutenue en 1989 à l'Université d'Aix-Marseille III).
7 J.-F. Dupon, "La société mauricienne", Revue juridique et politique, Indépendance et coopération, 1969, n° 3, p. 337-356.
8 Communautés dont la nouvelle Constitution reconnaît explicitement l'existence. Il est précisé par exemple dans l'Annexe I, relative au système électoral : "Aux fins de la présente Annexe, la population de Maurice est considérée comme comprenant une communauté hindoue, une communauté musulmane et une communauté sino-mauricienne ; toute personne qui, par son mode de vie, ne peut être considérée comme appartenant à l'une de ces trois communautés, est réputée appartenir à la population générale, laquelle forme elle-même une quatrième communauté" in La Constitution de la République de Maurice, op. cit., 1993, p. 251.
9 On est frappé par le caractère pragmatique de la définition contenue dans l'Annexe I de la Constitution : s'appuyant sur le "mode de vie", elle choisit pour certaines communautés un critère religieux, pour d'autres un critère ethnique et constitue un quatrième groupe défini par le terme de "population générale". Ce quatrième groupe correspond au fonds primitif de peuplement, à dominante européenne, africaine et malgache. Mais certains auteurs excluent les Blancs de la population générale et citent, en dehors d'elle non pas trois mais cinq groupes : "It is used freely to refer to the largest group of the "general population" (exclusive of the White Franco-Mauritians, the Indo-Mauritians, the Tamilo-Mauritians, the Islamo-Mauritians and the Sino-Mauritians) descendants of African slaves", (G. Benoît, The Afro-Mauritians..., op. cit., p. 17. D'autres auteurs distinguent "quatre communautés : Indo-Mauriciens hindouistes et musulmans, Sino-Mauriciens, Blancs franco-mauriciens, créoles d'origine africaine", (L. Favoreu, "Seewoosagur Ramgoolam, 1900-1985", Universalia 1986, p. 593, Paris, Encyclopædia Universalis, 1986). Ces exemples de nomenclature pourraient être multipliés : le sujet y trouve une partie de sa complexité. Nous y trouverons surtout matière à réflexion car les critères choisis pour proposer telle ou telle frontière communautaire renvoient à l'usage et à l'histoire, au réel mais parfois aux mythes ou aux préjugés ; ils ont une incidence majeure sur la façon dont on peut décrypter les relations entre Etat et communautarisme.
10 Avocat et ancien ministre travailliste.
11 S. Mourba, Misère Noire (ou Réflexions sur l'histoire de l'Ile Maurice), Maurice, Swan Printing, s. d. (c. 1980), 233 p.
12 Préface à l'ouvrage de Toni Arno et Claude Orian, Ile Maurice : une société multiraciale, Paris, L'Harmattan, 1986, 182 p., pp. 7-8. U. Bissoondoyal est le directeur du Mahatma Gandhi Institute (MGI) à Maurice.
13 H. Gerbeau, "La traite esclavagiste dans l'Océan Indien du XVe au XIXe siècle ; problèmes posés à l'historien, recherches à entreprendre" in Histoire Générale de l'Afrique, Etudes et Documents , vol. 2, La Traite négrière du XVe au XIXe siècle, Paris, UNESCO, 1979, p. 194-217 ; Voir également du même auteur, "Mythes et stratégie. Le Sud-Ouest de l'Océan Indien du XVIIe au XXe siècle : un espace français ?" in Histoires d'Outre-Mer, Mélanges en l'honneur de Jean-Louis Miège, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 1992, 2 vol., 716†p., pp. 447-491.
14 G. de Nettancourt, "Le peuplement néerlandais à l'île Maurice (1598-1710)" in Mouvements de populations dans l'Océan Indien, Paris, Champion, 1980, p. 219-232.
15 A. Toussaint, Histoire des îles Mascareignes, Paris, Berger-Levrault, 1972, p. 29-44.
16 J.-M. Filliot, La traite des esclaves vers les Mascareignes au XVIIIe siècle, Paris, ORSTOM, 1974, p. 179.
17 Cité par H. Ly-Tio-Fane Pineo, Lured Away. The Life History of Indian Cane Workers in Mauritius, Moka, Mauritius, Mahatma Gandhi Institute, 1984, XVI-261 p. (p. 5).
18 J. G. Milbert, Voyage pittoresque à l'Ile de France, au Cap de Bonne Espérance et à l'Ile de Ténérife, Paris, A. Nepveu, 1812, vol. 1, p. 218, vol. 2, p. 170-172.
19 P. Crépin, Mahé de la Bourdonnais, gouverneur général des Iles de France et de Bourbon (1699-1753), Abbeville, Imp. F. Paillart, 1922, p. 80.
20 J. Benoist, "La "diaspora" indienne" in L'Inde grande puissance mondiale, Paris, CHEAM, 1988, p. 9.
21 "Les Affranchis et les Indiens libres à l'Ile de France au XVIIIe siècle (1721-1803)", thèse de doctorat de 3e cycle, soutenue le 22 juin 1984, Faculté des Sciences Humaines, Université de Poitiers, p. 203-204 (dactyl.).
22 A. Nagapen (Mgr),"Les Indiens à l'Ile de France : acculturation ou déculturation ?", in Relations historiques et culturelles entre la France et l'Inde, XVIIe-XXe siècles Association historique internationale de l'Océan Indien, 2 vol., Sainte-Clotilde, Archives Départementales de la Réunion, 1987, vol. II, p. 25-51, p. 36-41.
23 Milbert, op. cit., vol. 1, p. 217, vol. 2, p. 173. Quartier qui leur est "presque réservé" et dont les maisons sont "tenues fort proprement", précise l'auteur.
24 Archives de la Congrégation de la Propagande, Vatican (AP), Relaz. del l'Isla Maurice, 1829, fol. 289, quaest. 33a.
25 Les Indiens à l'Ile de France, Ile Maurice, 1965, pp. 50 et 68-70.
26 M. Carter and H. Gerbeau, "Covert Slaves and Coveted Coolies in the Early Nineteenth Century Mascareignes" in The Economics of the Indian Ocean Slave Trade , ed. by Gervase Clarence-Smith, London, F. Cass, 1989, VII-222 p., p. 194-208. On se reportera aussi à la thèse de Richard B. Allen, "Creoles, Indian Immigrants and the Restructuring of Society and Economy in Mauritius 1765-1885", University of Illinois, 1983, XII-293 p. dactyl. (unpublished thesis, Ph.D.) et à celle de Marina Carter, "Indian Labour Migration to Mauritius and the Indenture Experience, 1834-1874", Oxford, St. Antony's College, 1987, XV-369 p. (D. Phil. thesis).
27 Maharashtra State Archives, Bombay (MSA), Political Dept., Bombay Govt. to Colebrooke and Blair, 24 March 1827. Détails in H. Gerbeau, "Les esclaves asiatiques des Mascareignes au XIXe siècle. Enquêtes et hypothèses", Annuaire des Pays de l'Océan Indien, vol. VII, 1980, Aix, Paris, CERSOI, PUAM-CNRS, 1982, p. 169-197 (texte revu et mis à jour d'une communication présentée à Perth en 1979 (ICIOS, Section VI, "Archives and Resources for Study").
28 H. Tinker, A New System of Slavery. The Export of Indian Labour Overseas 1830-1920, London, Oxford University Press 1974, XVI-432 p. (p. V).
29 "Slavery and Indenture in Mauritius and Seychelles" in Asian and African Systems of Slavery, ed. by J. L. Watson, Oxford, Basil Blackwell, 1980, p. 135-168 (cf. p. 149-150).
30 P.C. Emmer, "The Meek Hindu : The Recruitment of Indian Labourers for Service Overseas, 1870-1916" in Colonialism and Migration ; Indentured Labour before and after Slavery, ed. by P.C. Emmer, Dordrecht, M. Nijhoff, 1986, p. 187-207. J.-L. Miège, Indentured Labour in the Indian Ocean and the Particular Case of Mauritius, Leiden, Centre for the History of European Expansion, Intercontinenta, n° 5, 1986, 62 p. L'auteur souligne l'intérêt des archives du Mahatma Gandhi Institute, qui fournissent pour les années 1835-1910 une documentation détaillée, et souvent illustrée de photographies, sur les arrivées et les départs des Indiens.
31 "Continuity between Slavery and Indian Immigration ?", Indian Labour Immigration, ed. by U. Bissoondoyal and S.B.C. Servansing, Moka, Mahatma Gandhi Institute, 1986, (XXII)-329 p. (p. 1-8. Voir aussi p. 20-72 :"Examination of Certain Aspects of the Slavery-Indenture Continuum of Mauritius Including a Scenario That Never was", by J. Manrakhan).
32 Archives Départementales de la Réunion (ADR), 79 M 3 : Indiens battus (Rapports généraux de police, Janvier 1830) ; ADR, 79 M 4 : un Indien meurt sous les coups, il "ne marchait pas au gré du commandeur" (lettre du commandant de gendarmerie, 17 avril 1836, n° 748) etc.... Brève approche : H. Gerbeau, "Engagees and Coolies on Réunion Island, slavery's masks and freedom's constraints", Colonialism and Migration, op. cit.., Dordrecht, 1986, p. 209 - 236.
33 India Office Library and Records, London (IOL), India Emigration Proceedings, Consul Perry, 4 th December 1874.
34 Nombreux travaux sur le sujet in Relations...op. cit. ; cf. par exemple Michèle Marimoutou, Firmin Lacpatia, Sudel Fuma, Jean-Claude Laval. Publications récentes à la Réunion (1990-1994) de Sully-Santa Govindin, notamment Les engagés indiens . Ile de La Réunion - XIXe siècle, Saint-Denis, Azalées Editions, 1994, 192 p.
35 J. Benoist, "La "diaspora" indienne", art. cit., p. 10.
36 J.C. Jha, "Early Indian Immigration into Mauritius (1834-1842)", Indian Labour Immigration, op. cit ., Moka, 1986, p. 15.
37 S. Peerthum, "Forms of Protest and Resistance of Indian Labourers", S.J. Reddi, "Labour Protest among Indian Immigrants" in Indian Labour Immigration, Moka, 1986, op. cit., p. 88-94 et 116-135.
38 A. Callikan-Proag : "La représentation des immigrants indiens dans Le Cernéen (1836-1853)", Indian Overseas. The Mauritian Experience, ed. by U. Bissoondoyal, Moka, Mahatma Gandhi Institute, 1984, (VIII), p. 223-272.
39 R. Mathur, "Indians' participation in Mauritian politics (1834-1934)" in Relations..., vol. II, p. 69 - 89 (p. 73 - 80).
40 Certains de ceux-ci ne cachent pas qu'à la France républicaine ils préfèrent la France d'avant 1848, voire celle d'avant 1789. Les planteurs savent, d'autre part, que Paris achète en 1919 la tonne de sucre 990 francs aux Réunionnais, alors que les Anglais la paient 2 500 francs aux Mauriciens.